Clochers en Limousin
Le clocher symbolise pour l'époque médiévale le pouvoir écclésiastique et se doit donc de paraître. Le clocher porche est choisi dans nombreux d'édifices du diocèse de Limoges.
Pressentie par les historiens du XVIIIème, la similltude des caractéristiques d'un certain nombre de clocher en Limousin et à ses frontières allait être théorisée le siècle suivant, et donner naissance à une notion dans l'art roman : le "clocher limousin".
"Puisque c'est en Limousin que se trouve le plus grand nombre de clochers à gâbles, la région doit donc en être le foyer de création" ... En 1929, Jean Vallery-Radot reprend les travaux de ses prédécesseurs dans le dessein de rechercher un prototype. Il redonne au clocher de Brantôme le titre de plus ancien exemple complet connu, mais constatant lui aussi l'absence de descendance formelle en Périgord, il estime que cela permet de localiser l'origine du type soit à la cathédrale de Limoges soit à Saint-Martial, deux oeuvres qui datent du XIème siècle. Les interventions de restauration qui feront suite, reprendront cette idée de généralisation du clocher à gâbles en Limousin.
Il ne faut pas chercher derrière ces oeuvres un "génie" limousin, seulement reconnaître qu'un certain nombre d'ateliers de construction, dont l'activité est principalement localisée dans le diocèse de Limoges, ont utilisé un répertoire de formes originales. La forme de ce clocher n'a jamais été arrêtée à un seul modèle en Limousin comme le montrent les tours de La Souterraine, de Chambon ou de Solignac, de même qu'à l'inverse existent quelques cas extérieurs au diocèse. Là encore toute classification définitive apparaît réductrice et artificielle face à la richesse et la diversité de l'architecture médiévale.
(Source - Le Limousin, pays et identités / PULIM)
Comme l'a fait remarquer Denise Jalabert, "cette manière de poser un octogone sur un carré est très rare en dehors du Limousin", mais une image globale des clochers octogonaux dont l'un des angles occupe le milieu de la souche carrée révèle une aire de diffusion réduite.
Il est par là possible à la fois de déterminer une sorte de goût "régional" et d'en poser les limites. Il n'est pas question de donner une nouvelle fois une définition du clocher "limousin", il n'est pas question non plus de nier le bien fondé des rapprochements entre un certain nombre de clocher à gâbles, mais reconnaissons que la séparation établie entre les clochers à gâbles et les autres tours élevées dans la région a quelque peu réduit le champ d'étude.
En effet, on peut constater qu'en parallèle à la création du "type parfait" de clocher limousin représenté par les niveaux supérieurs des clochers de Saint-Léonard, Saint-Martial de Limoges et Saint-Junien, furent élevées des tours de croisée possédant la même orientation biaise des étages octogonaux. Ces tours sont nombreuses dans le diocèse : à Beaulieu, Bénévent, Le Dorat, Nexon, Obazine, Saint-Léonard et Saint-Robert. A cette liste pourraient sans doute être ajoutées les tours de croisée des deux grandes abbatiales de Limoges : Saint-Martial et Saint-Augustin qui présentaient peut être les mêmes dispositions.
Certaines de ces tours de croisée sont bâties dans les mêmes sites que les clochers à gâbles possédant semblable particularité (position biaise des étages octogonaux) : à Saint-Léonard, Saint-Martial. A Beaulieu, le porche possède des représentations sculptées de clochers limousins. Les sites de Saint-Léonard et de Saint-Martial sont intéressants. Les tours de croisée y sont en effet antérieures à l'érection des clochers à gâbles sur les porches. La solution des tours octogonales dont aucun côté n'est disposé parallèlement à la souche carrée pourrait avoir été inventée dans un de ces exemples.
(Source - Le Limousin, pays et didentités / PULIM)
Abbaye Saint-Martial de Limoges
Le clocher dit "limousin" ou à gâbles
On appelle donc « clocher limousin » un type de clocher-tour à plusieurs étages, passant d’une base carrée à un sommet octogonal par le moyen de gâbles (pignons aigus).
En réalité, seuls quatre clochers à gâbles coiffent des églises du Limousin, mais il apparaît encore plus rarement dans les autres régions (Le Puy-en-Velay, Valence, et Brantôme en Périgord, celui-ci possédant des gâbles séparatifs mais restant sur un plan carré de bas en haut).
Deux exemplaires existants encore appartiennent à la Haute-Vienne : Saint-Junien (où il ne reste que la partie basse du clocher et le départ des gâbles) et Saint-Léonard-de-Noblat (le plus élancé et le mieux conservé de tous). Deux autres exemplaires sont en Corrèze à Collonges et à Uzerche.
Abbaye Saint-Pierre d'Uzerche
Tour de croisée à la collégiale de Saint-Junien
Tour de croisée de la collégiale du Dorat
L'EXEMPLE DU CLOCHER DE COLLONGES
Le clocher de l'église de Collonges présente presque tous les caractères retenus par René Fage comme représentatifs d'un type de clocher qualifié par l'auteur de "limousin" : une coupole au rez-de-chaussée, la combinaison des plans carré et octogonal et la présence de gâbles sur les quatre faces de la tour. Il lui manque néanmoins pour répondre parfaitement à la définition, le retrait systématique des étages, la flèche en pierre à huit pans ainsi que la netteté et le sens des proportions, peut-être en raison de la date précoce de sa construction que l'on peut situer, comme l'a proposé Albert de Laborderie, entre 1080 et 1120.
Chronologiquement, il se classe parmi les premiers clochers rromans "limousins" édifiés. Postérieur au clocher de l'église Saint-Pierre-et-Saint-Sicaire de Brantôme (seconde moitié du Xième siècle) dont la structure a très nettement influencé le type "limousin", le clocher de Collonges apparaît comme étant le précurseur, c'est-à-dire celui qui a adopté pour la première fois la formule des deux plans (carré et octogonal) et des gâbles. Mais il n'a marqué que la volonté d'élaborer une forme nouvelle destinée à évoluer pour atteindre la perfection.
Les clochers de Saint-Pierre d'Uzerche et de Saint-Junien appartiennent à la phase intermédiaire. En effet, les procédés architecturaux ont changé et la forme a évolué : le tracé brisé des arcs permet une meilleure répartition des poussées, le volume des étages tend à être plus homogène, les ouvertures deviennent plus nombreuses et plus grandes, le couronnement est en pierre, la transition entre les deux plans se précise et commence à s'harmoniser.
Cohérent, réfléchi et planifié, le dispositif du clocher de Saint-Léonard-de-Noblat est le plus achevé des édifices limousins. Elaboré sur une durée d'un siècle (XIIème siècle) par des bâtisseurs qui ont su tirer profit des expériences antérieures ou contemporaines (Saint-Martial de Limoges) pour concevoir le "chef d'oeuvre", il est le produit d'une synthèse architecturale. Parfaitement aboutie, cette construction très haute (52m), richement ornementée, présente une silhouette gracile et équilibrée qui ne faisait qu'émerger à Collonges.
Les clochers romans en Limousin
Les premiers exemples de clochers-porches limousins, répertoriés depuis longtemps, appartiennent à des établissements religieux importants au XIème siècle. Le clocher d'Évaux, érigé à l'emplacement de la sépulture de l'ermite Marien, cité par Grégoire de Tours, ennoblit l'ancienne capitale de la Combraille. A l'autre extrémité de la province, en Charente limousine, la tour monumentale de Lesterps, plus puissante encore, témoigne de la richesse et de l'influence de chanoines réguliers qui constituèrent le fer de lance de la réforme canoniale en Aquitaine.
Au centre du diocèse, le clocher de la cathédrale de Limoges, enchâssé dans un ensemble complexe de l'époque gothique, répondait à celui de Saint-Martial, malheureusement détruit. Il est également nécessaire de s'interroger sur le caractère remarquable et quasi régional de la permanence de la forme du clocher-porche occidental en Limousin, car il n'existe pas de façade à deux tours dans la région au moyen âge, et très peu de façades-écrans romanes en dehors des édifices ruraux, constatation surprenante pour une aire artistique largement ouverte aux influences d'un Ouest poitevin où la mode de la tour d'entrée ne survécut pas au XIème siècle. Cependant, de 1070 à 1170 environ, les structures des clochers occidentaux évoluèrent. Les tours relativement indépendantes, compartimentées dans leur plan au sol, pourvues de salles hautes d'une indéniable qualité architecturale, furent remplacées par des clochers dont le rez-de-chaussée s'identifiait à la première travée de la nef, et le beffroi n'apparaissait qu'à l'extérieur, offrant l'avantage de proposer une composition de façade élargie aux dimensions des trois vaisseaux de la nef (Le Dorât, Saint-Junien...).
On serait tenté de parler d'intégration progressive de la tour dans le corps de l'édifice : les correspondances chronologiques, ainsi que l'existence de formules intermédiaires, invitent à voir là, sinon une étape dans l'évolution des formes, ou l'indice de mutations strictement morphologiques, du moins une nette tendance, issue de la stratification des goûts et des besoins des générations successives. Cette tendance s'inversa radicalement vers 1180, lorsque les architectes purent choisir entre des clochers-porches nettement séparés de l'église et des façades plates ouvertes de nombreuses baies : alternative qui n'était contrastée qu'en apparence, puisque l'une et l'autre des solutions permettaient de ne plus tenir compte d'un espace intérieur que l'on souhaitait le moinscompartimenté possible. Le thème de la tour occidentale allait donc survivre longtemps.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Abbaye de Lesterps
Collégiale d'Evaux
Le clocher de l'église d'Évaux
Le clocher d'Évaux repose sur un rez-de-chaussée presque carré, de 6m de côté, auquel furent ajoutées, entre le
XVème siècle et le XVIème siècle, une tourelle d'escalier et une porte à fronton.
Au dessus, un étage sans retrait, de même plan et de même épaisseur, est orné d'arcades et de baies récemment
dégagées. Les formes et les matériaux présentent ensuite une solution de continuité, avec un niveau de plan circulaire, en fait légèrement elliptique, dont les ouvertures, regroupées par trois, mises au jour entre 1942 et 1944, offrent une certaine dissymétrie : les baies nord et ouest naissent de colonnettes et de chapiteaux qui relèvent de la même série que les corbeilles du premier étage, tandis que les baies est et sud sont encadrées de simples pilastres à impostes. Le dernier étage, octogonal, date du XIIIème siècle.
L'historique apporte peu d'éléments de datation. Évaux, ou Évahon, appartient à un type d'établissement assez caractéristique du Limousin, regroupant des chanoines régularisés, plus ou moins liés au chapitre de la cathédrale, installés près de la sépulture d'un saint ermite, autour d'une église dédiée à saint Pierre et à saint Paul. La prévôté, bientôt réputée pour la rigueur de l'observance canoniale, reçut dès le Xème siècle des donations importantes.
La cohésion des maçonneries des deux étages carrés apparaît nettement : les murs, en grand appareil de granit,
ont partout la même épaisseur. Partout est utilisé le même type d'impostes à l'épais chanfrein. Les six arcs du porche se ressemblent par leur plein cintre légèrement outrepassé, leurs claveaux soignés où alternent pierres blanches et pierres foncées, presque noires, un blocage visible à l'intrados, des joints épais parfois colorés au grès pilé. Si, à l'étage, se retrouvent de semblables techniques, profils et couleurs, les niveaux décoratifs sont dissociés : les baies ne sont pas encadrées, mais surmontées, par des arcades issues des dosserets, qui, en fait, jouent le rôle habituel de placage sur étage aveugle, dissimulant un voûtement intérieur. L'originalité des quatre faces, dont l'une est insérée dans la nef, se manifeste par l'utilisation de colonnes en délit, et par celle de corbeilles sculptées à épannelage double, qui composent, avec les quatre chapiteaux de l'intérieur et les huit chapiteaux du beffroi, une série particulièrement homogène, de type protoroman, difficile à dater.
À l'intérieur, des corbeilles identiques sont associées à des tailloirs disproportionnés, à des demi-colonnes engagées, à des bases cerclées comme au tour, à des hauts socles couronnés par des sortes de tailloirs inversés.
Plutôt que des campagnes de constructions différentes, je verrais bien là une logique de supports qui se cherche, comme souvent à la même époque. Logique qui hésite entre art romain et art roman : une conception «romaine»
n'est pas invraisemblable à Évaux, ville balnéaire des premiers siècles. Par rapport à l'archaïsme de la construction et du décor, la compartimentation et le voûtement paraissent élaborés. En bas, un pilier central de section rectangulaire détermine deux berceaux, remaniés plusieurs fois. La salle haute est plus subtilement traitée : entre une pile légère, carrée, et les quatre tailloirs des chapiteaux médians des parois, sont lancés des arcs surhaussés de murs-tympans, qui délimitent quatre petits berceaux de blocage allégés de poterie. Il n'existe
aucune trace d'autel. Encore au-dessus, quatre trompes d'angle assurent le changement de plan. L'une d'elles est
supportée par une de ces pierres taillées et chanfreinées qui servent ici, un peu comme les chapiteaux, de matériel à tout faire, pas toujours très adapté. À l'évidence, l'étage circulaire appartient à une campagne légèrement postérieure : l'emploi de huit corbeilles, s'expliquerait par le désir d'utiliser un matériau de série déjà
sculpté, en surnombre. Il faut surtout remarquer le changement de rythme. A un groupement de quatre fois deux baies succède un groupement de quatre fois trois baies, plus proche de l'idéal des douze portes, plus proche aussi des solutions bientôt adoptées dans le reste du diocèse.
L'ancienne communication avec la nef n'est plus apparente. En raison de la symétrie qui règne à tous les étages, certains auteurs ont suggéré la définition d'une tour totalement isolée. Mais on ne peut expliquer l'inégale largeur des baies orientales, ou celle des portes ornées de billettes, que par la nécessité de s'adapter à un édifice antérieur. Les ouvertures de la salle haute dirigées vers la nef sont nettement plus basses que les autres : leur appui est situé à peine au-dessus du sol, tandis que leur cintre ne dépasse pas le niveau de la base des colonnettes en délit. Seulement le clocher, appuyé ou non sur d'autres constructions, a dû attendre longtemps sa nef, indiscutablement prévue. L'église romane, dont les dimensions et quelques chapiteaux sont conservés, daterait des environs de 1100. Une grande différence de style et de logique constructive confirme une datation haute de la tour-porche, la première (conservée) en Limousin.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Bien que les deux églises d'Évaux et Lesterps soient fort éloignées, des traits communs permettent de les associer. Outre la monumentalité des tours-porches, le vocable de Saint-Pierre, la présence de chanoines réguliers dont le rayonnement inspirait respect et désir d'imitation, la sépulture d'un saint local, la construction en grand appareil de granit, et enfin l'implantation dans une petite ville murée, sont des réalités bien limousines.
Les historiens de Lesterps insistent sur l'importance de la date de 1040, en raison d'un incendie et d'une guerre féodale complaisamment rapportés par une vita. Après une probable fondation de la fin du Xe, la vie religieuse ne s'organise vraiment que dans les années 1030, avec l'arrivée de Gautier, chanoine formé au Dorât. Gautier se rend bientôt à Jérusalem. Après l'incendie pourvu de pouvoirs étendus qu'il est allé solliciter à Rome, il restaure l'établissement, à tous les sens du terme, et fait consacrer l'église, avant sa mort en 1070. Ses successeurs, profitant des faveurs de l'évêque Gui (1073-1086), font tout pour prolonger son influence, et obtiennent confirmations et donations. Une grande bénédiction du monastère a lieu en 1091, lors de l'institution de la fête du saint «fondateur». D'ailleurs, les titres d'abbé et d'abbaye, ainsi que la mention de la règle de saint Augustin, n'apparaissent que vers le dernier tiers du siècle, époque à laquelle fut commandée la vita.
Le prestige et la richesse justifièrent la construction, au siècle suivant, d'un choeur à déambulatoire et chapelles rayonnantes, objet de l'admiration et de la sollicitude des génovéfains, plus heureux dans leurs travaux que leurs frères d'Évaux. Dès l'origine, l'église de Lesterps se composait de deux parties distinctes. À l'ouest, le clocher et les trois premières travées de la nef constituaient une austère église paroissiale. Malgré l'existence d'éléments anciens dans les croisillons, le choeur, la croisée et sa tour, ainsi que les travées orientales de la nef reprises entre le XIIIe et le xive s., paraissaient d'un style moins sévère et d'une exécution plus noble. Certains auteurs ont avancé que le clocher avait résisté à l'incendie de 1040. Cette assertion, démentie aussi bien par l'histoire que par l'architecture, repose sur les remarques de deux religieux érudits du XVIIe, qu'il convient de réinterpréter : comme tous leurs contemporains, ils étaient frappés par la différence de style entre les deux moitiés de l'église. Il semble même que la séparation ait été finalement matérialisée par un mur, qui offrait l'avantage de renforcer le dernier arc roman de la nef. Vers 1815, toute l'église orientale s'écroule, et les matériaux sont rapidement vendus. A la fin du siècle dernier, enfin, Paul Abadie intervient pour restaurer murs, supports et voûtes, puis il édifie une médiocre abside en hémicycle. Si, dans le clocher, les reprises sont plus discrètes, la reconstruction d'une partie des éléments de jonction et d'accès, ainsi que l'application de joints en ciment, gênent encore la lecture archéologique.
Le clocher-porche de Lesterps
La cohérence de cette tour de 43 m de haut impressionne. Extérieurement, les deux premiers étages sont liés par des contreforts-colonnes. Le premier s'ouvre de chaque côté par trois arcs. Ces portes, égales entre elles au nord et au sud, ménagent à l'ouest une entrée centrale plus triomphale. Le deuxième étage, deux fois plus haut, exceptionnellement élevé, traduit l'ampleur d'une salle haute. En retrait, au-dessus d'une corniche soulignée de disques, un étage aveugle correspond au voûtement de cette salle. Puis, dans un beffroi où se retrouvent le plan carré et les profils plein cintre, des baies ornées de tores sur colonnettes de piédroits sont réunies par groupes de trois par des demi-colonnes parfois travaillées en stries. Un étage supplémentaire est amorcé.
Le rez-de-chaussée est divisé en trois berceaux de trois travées par des piles en quatrefeuille suportent des chapiteaux lisses à volutes, motifs taillés en série dans le granit, bien faits pour souligner la puissance des articulations. Les niveaux d'impostes sont dédoublés au revers de la façade, ce qui s'explique par la logique des supports plus que par une éventuelle antériorité de l'enveloppe extérieure. Les irrégularités des dimensions, qui n'altèrent pas la symétrie axiale, révèlent une construction empirique et un axe légèrement différent de celui de la nef. Cependant, certaines distorsions sont sans doute délibérées. L'implantation des supports indépendants, qui cernent une travée centrale plus ample que les autres, permet une comparaison avec les «cryptes» occidentales des édifices carolingiens, d'autant que les voûtes sont basses. Mais la définition d'un «baldaquin du milieu» reste une promesse du plan, trahie par la structure longitudinale du couvrement. Dans la salle de l'étage, plus largement ouverte à l'ouest que sur les flancs, somptueusement traitée par des trompes d'angle, une coupole octogonale, et des impostes qui deviennent de véritables architraves, l'espace est dégagé. La direction de la nef est indiquée par deux baies superposées, dont la plus basse sert de porte.
La salle du beffroi est également voûtée, grâce à des trompes qui réunissent les baies les plus proches des angles. Bien que l'association d'une tour et de deux tourelles symétriques couronnées d'écaillés soit une invention du restaurateur, les éléments de jonction avec la nef posent le problème de la succession des campagnes de construction et celui de la chronologie relative. Ils sont de toute évidence postérieurs au clocher-porche proprement dit. L'escalier sud, qui ne devait pas être prévu, a du mal à trouver sa place. L'escalier nord, encore largement authentique, n'entame pas le carré dans lequel s'inscrit la base de la tour, et ne donne aucun accès direct à ses étages. L'extrémité occidentale de la nef est pourvue d'un berceau très étroit, dont l'extrados, qui sert de relais entre les escaliers, reste plus bas que celui des autres voûtes, et dont l'intrados masquait avant les restaurations la petite baie de la salle haute. Enfin, les baies des murs occidentaux des collatéraux, à double ressaut, ont un développement gêné par la faible largeur subsistant entre la vis de l'escalier et le dosseret d'angle.
La nef et le porche appartiennent à deux campagnes différentes. Sans écarter l'éventualité d'une plus grande ancienneté des murs gouttereaux , et tout en réservant la datation des voûtes principales, on peut attribuer la construction des structures essentielles de la nef, piles et grandes arcades, à l'initiative de Gautier, de retour de Rome, soit entre 1050 et 1070. En revanche, la construction du porche semble relever d'un projet plus ambitieux, en accord avec l'ampleur des solutions adoptées dans les chantiers proches, comme celui de Charroux. La période qui s'étend de 1070 à 1091, entre la mort du saint et l'institution de son culte, conviendrait d'autant mieux qu'elle correspond à une période militante, à une période d'exaltation autour de la personnalité de Gautier, dont la commande de la vita, la réception d'un légat, le titre d'abbaye, et l'envoi de réformateurs sont d'autres expressions. L'espace compris entre la nef (à terminaison provisoire?) et le porche a été ensuite occupé par les éléments de jonction, un peu avant ou un peu après la cérémonie de 1091, au cours d'une campagne empirique mais homogène. Tous ces éléments sont liés : l'escalier en vis du côté nord, qui ne part qu'à deux mètres du sol, les murs ouest des collatéraux et leur baie, l'étroite tribune lancée au revers de la tour et sa voûte en berceau, et même le dernier étage du clocher, qui communique avec ce même berceau par un escalier intramuros à double révolution situé dans l'axe médian. Le voûtement, ou la reprise de voûtement, des nefs latérales, qui a nécessité le placage de grands arcs et de demi-colonnes dont les chapiteaux sont semblables à ceux du porche, relèverait d'un ultime remaniement, contemporain ou légèrement postérieur au précédent Notons que la tribune de nef, seul élément théâtral de tous nos porches, qu'il serait bien tentant d'associer au vocable de Marie-Madeleine utilisé pour cette partie de l'église, en pensant à la spécificité de la liturgie des fêtes pascales, est essentiellement un subterfuge destiné à relier les escaliers à la tour. Les questions soulevées par la fonction et la signification de la salle haute ne sont donc pas plus faciles à résoudre qu'à Évaux. Cet étage, conçu pour hisser très haut le beffroi malgré un narthex bas, abritait-il une chapelle? Ici, l'image donnée par la tour carrée aux douze portes, évidemment liée à la promesse de la Jérusalem Céleste, prière des saints, demeure de Dieu parmi les hommes, s'enrichit d'une signification funéraire. Le clocher-porche de Lesterps, qu'il faut rattacher à l'histoire de l'abbaye et aux enjeux de son développement, pourrait s'identifier à un cénotaphe monumental. Pareille dualité s'observe à Saint-Martial de Limoges : dans les deux cas, le vrai tombeau reste le tombeau primitif, quelque part au nord du sanctuaire, auquel la dévotion interdit de toucher; mais un tombeau symbolique, reliant terre et ciel, avec des proportions suffisantes pour marquer le paysage, est érigé à l'endroit désormais réservé aux programmes eschatologiques, à l'ouest.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Abbaye de Lesterps
Cathédrale de Limoges
La cathédrale de Limoges et son clocher
Le clocher de la cathédrale de Limoges, en partie roman, est implanté au coeur de la Cité, ville de l'évêque, face au Château, la ville de Saint-Martial et du vicomte. Pendant des siècles, les bourgeois de l'une et l'autre ville, enfermés dans leurs propres murailles, soumis ou opposés aux souverains anglais, passant d'une faction à l'autre au gré des circonstances, n'ont cessé de se combattre. La double consécration de décembre 1095, effectuée par Urbain II, se déroule pendant une phase de conflit entre l'évêque et l'abbé de Saint-Martial, le second parvenant à faire destituer le premier. Une des expéditions punitives, en 1105, se solde par l'incendie de la cathédrale, qui dut n'épargner que les premiers étages du porche. Cette tour, dont la construction et les embellissements successifs relèvent d'une véritable lutte de clochers, appartient donc à la cathédrale romane consacrée à l'extrême fin du XIe s., ainsi qu'une crypte située approximativement dans le même axe.
Mais son histoire, comme bien souvent, sera indépendante de celle de l'édifice. Épargnée par la catastrophe de 1105, elle est transformée vers 1190, peut-être à l'imitation de ce qui se faisait alors à Saint-Martial. Une deuxième reprise a lieu en 1242, avant même la décision de reconstruction du choeur : le dernier étage carré, qui est aussi le premier étage gothique, appartient sans conteste à cette époque, avec ses triples baies ornées de tores minces. Trois étages octogonaux sont édifiés à la suite, mettant la mode d'un nouveau type de clocher, qui sera imité dans les deux grandes églises paroissiales du Château.
Le grand choeur en opus francigenum, édifié entre 1273 et 1320 57, est resté lié au transept roman, à ses portails, à la nef, et donc au porche, jusqu'en 1444 au moins. Cependant, le clocher, dont la base devait supporter trois étages carrés, trois étages octogonaux, plus des tourelles, un beffroi de charpente et une flèche, et qui était effectivement le plus haut de la ville, fut renforcé par un énorme massif de maçonnerie. Si le mur occidental du transept et les deux travées orientales de la nef datent des années 1458/99, la façade nord du début du xvie s., le reste de l'édifice gothique, continué un peu avant 1550, se réduit aux murs extérieurs des chapelles latérales, montés sur une faible hauteur variant de trois à douze mètres : alors le clocher-porche est isolé de la cathédrale, dans un état qui subsistera jusqu'en 1888, époque de l'achèvement de la campagne néo-gothique. On comprend que les trois étages romans de la tour se présentent maintenant comme une structure vide. Le plan au sol est remarquable. A l'intérieur d'une enveloppe composée d'un carré d'une dizaine de mètres de côté, scandée par des dosserets, quatre colonnes maçonnées, aux tambours inégaux, encadrent un espace central dilaté. La fonction de ces supports cylindriques n'apparaît plus guère, en raison du chemisage de l'espace étroit qui les sépare des parois par de larges arcs en tiers-point, depuis 1190 et (ou) 1242. Mais leur facture les désigne comme appartenant au XIe s. Une construction liée aux donations et à la pénitence du vicomte Adémar en 1074 est concevable.
Face à trois chapiteaux lisses, à l'épannelage parfois obtenu par des angles abattus, une seule corbeille est sculptée : le style de ses motifs antiquisants, feuillages et masques bouclés, a donné lieu à des datations contradictoires. Les deux étages supérieurs sont identiques, avec baies en triplets, impostes chanfreinées, renforcements successifs, et voûtement peu authentique. Les baies latérales, qui ne devaient exister au niveau du sol que sous forme de niches étroites et aveugles, tant l'espace est restreint, s'élargissent au premier puis au second étage. Ce dernier reste le plus visible : extérieurement, il apparaît au-dessus de la terrasse du narthex de 1888 ; intérieurement, ses parois aux cintres soigneusement clavés semblent relever encore de la fin du xie, malgré de légères modifications.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Les similitudes entre le clocher de la cathédrale Saint-Étienne de Limoges et celui de l'abbaye Saint-Martial de Limoges, leur signification
Notre connaissance du clocher de Saint-Martial s'appuie sur divers documents, notamment le plan relevé par le chanoine Legros en 1784, et une coupe, un peu antérieure, dite «coupe Montfaucon », qui illustre le dessin d'un tombeau gothique. Un premier niveau largement ouvert sur trois côtés, des étages carrés dont un des triplets de baies sera enrichi de statues de saints limousins, et quatre colonnes situées près des angles, appellent effectivement des rapprochements avec le porche de la cathédrale. Un escalier de seize marches utilisait une dénivellation topographique de grande ampleur : on descendait ensuite dans la nef. Des étages supérieurs à gables faisaient entrer cette tour dans la catégorie des «clochers limousins». En supposant que le clocher de Saint-Étienne était ainsi couronné, Viollet-le-Duc, intéressé par le problème des porte-à-faux, avait vu dans l'implantation excentrée des piles une nécessité fonctionnelle, celle de supporter les lourds étages en retrait. Or, contrairement aux idées reçues, cette hypothèse ne peut être étayée par la structure du clocher de Saint-Martial. Une division par quatre supports en rez-de-chaussée a bien d'autres applications, nous l'avons vu. D'autre part, hormis le clocher du Puy-en-Velay, aucun autre clocher à gables ne peut corroborer une explication d'ordre technique. En tout état de cause, il n'est pas permis de supposer à la tour occidentale de la basilique, du moins à ce sujet, un rôle de prototype, dont l'influence se justifierait par l'importance et le rayonnement de l'abbaye : en effet, si les deux premiers niveaux du clocher sont les seuls éléments de l'architecture de l'église qu'il est plausible de situer, sinon avant l'incendie de 1053, du moins avant les constructions du premier abbé clunisien (1063-1114), les derniers étages sont postérieurs à l'incendie de 1167, et peut-être même aux guerres entre Plantagenet, puisque leur décoration s'acheva (par un coq) entre 1213 et 1217, en même temps que la peinture d'une Majestas Domini sur le tympan central.
Il est admis qu'Urbain II consacra l'ensemble d'un bâtiment neuf, avec de nombreuses travées, un choeur à déambulatoire et chapelles rayonnantes, et un autel de marbre enfin mis en place, parce que la dédicace de 1028, effectuée du temps de cet abbé Odolric qui commanda l'autel et s'occupa du choeur, ne peut concerner l'édifice représenté. Cette dernière cérémonie mérite cependant quelques commentaires. Cette année-là, le débat sur l'apostolicité de saint Martial est ouvert. Un de ses plus enragés partisans, le chroniqueur Adémar de Chabannes, affirme dans un sermon l'attachement des reliques à leur sépulcre. On pose alors des sortes de plaques d'authentification près du sarcophage réputé primitif. Ce dernier, déjà vide par suite des translations dans un reliquaire exposé à la dévotion, était situé à l'ouest de l'ancienne église, celle de Saint-Pierre du Sépulcre (qui associait par son vocable le premier des apôtres à l'apôtre limousin), dans une suite de salles semi-souterraines dont les enrichissements successifs attestent l'importance au cours des siècles, au nord du choeur et du transept de la grande église. Il est donc probable que la somptueuse cérémonie, exigée par les circonstances, signifie moins la reconstruction du choeur que le terme d'un nouvel aménagement, en fonction des cheminements compliqués vers le sépulcre d'origine, objet d'un culte important. Pourquoi ne pas concevoir que le clocher-porche, apte par nature à traduire le vocable du Sauveur, ait été alors prévu (ou reconstruit) pour inscrire dans la
silhouette, un peu comme on le fera à Lesterps, la présence du tombeau de l'apôtre nouvellement reconnu ?
En imaginant le tombeau de Charlemagne à Aix, Adémar de Chabannes dessina dans ses marges un édifice pourvu d'une tour occidentale dont les dispositions architecturales sont troublantes. Recopiant, selon son habitude, d'autres manuscrits ou des objets en circulation, a-t-il ajouté un peu de la réalité limousine ? Avait-il sous les yeux le clocher de Saint-Martial ou un clocher qui l'aurait précédé ? Son dessin pose indirectement le problème de la date des tours-porches romanes de Limoges, ainsi que celui de l'origine carolingienne de la formule. Il ne subsiste malheureusement aucun témoin d'architecture carolingienne en Limousin, bien qu'une contre-abside récemment découverte à Saint-Martin de Tulle suggère un intérêt manifeste pour les volumes cidentés. Mais évoquer l'état de Saint-Martial au début du XIe s. soulève une autre question sans réponse : existait-il un rapport entre l'aménagement architectural et l'intensité de la vie liturgique et musicale de l'abbaye ?
Quoi qu'il en soit, le dessin nous confirme que, pour un Limousin du moyen âge, il n'est pas d'église sans tour occidentale. Les nécessités fonctionnelles ou symboliques, sans doute multiples, peut-être oubliées, sont vite devenues nécessités d'ordre esthétique.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Abbaye Saint-Martial de Limoges
Collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat
Les derniers clochers-porches romans en Limousin
Les clochers monumentaux en place, plus nombreux que maintenant, ont suffisamment impressionné pour être imités. Un phénomène de réduction du type est visible à Eymoutiers, où, comme dans tant d'autres lieux du Limousin, des chanoines régularisés veillaient sur les reliques d'un ermite local. En avant de la collégiale, mal reliée à des travées de nef dissymétriques en partie construites au XIe s., une tour de clocher carrée retient l'attention. Elle possède deux escaliers intra muros, isolés l'un de l'autre, dont la partie supérieure conduit au beffroi de la même façon qu'à Lesterps. L'étage principal contient une salle haute à coupole, qu'une petite baie fait communiquer avec la nef ; ses trois autres parois sont ornées de trois arcades de profil légèrement brisé, dont seul l'élément central, plus large, devait être ouvert. Le rez-de-chaussée, transformé, est aujourd'hui occupé par une salle sans compartimentation, aux murs aveugles, hormis le passage vers un petit collatéral en appentis installé au sud depuis la fin du moyen âge ; mais il est possible qu'il ait été largement ouvert sur le vaisseau central de la nef.
L'étage intermédiaire, animé par une frise de petites arcatures aux rythmes alternés, ainsi que l'étage supérieur, plus jeune, justifient un rapprochement avec une grande oeuvre limousine, le clocher de Saint-Léonard-de-Noblat. Certes, celui-ci ne peut prétendre à la même signification que les autres tours citées, car il est implanté contre la façade nord de la collégiale, mais il n'est pas sans intérêt pour notre propos. Ce clocher est le plus haut des clochers à gables, élevé à partir de 1100 environ. Largement antérieur, lui aussi, à un grand choeur à déambulatoire (à sept chapelles rayonnantes), il témoigne du succès des clochers-porches relativement isolés de l'édifice auprès des chanoines régularisés, dans un haut lieu de pèlerinage. C'est une construction hors-oeuvre, ce qui permit de ne pas toucher aux murs de l'église ancienne, sanctifiés par «les chaînes de fer réunies par milliers», suspendues en ex-voto «sur des mâts qui s'y trouvent chargés de tant et de si grandes ferrures barbares». Le conservatisme et l'empirisme se manifestent par des adjonctions aux fonctions dissociées, puisqu'une rotonde commémorant le Saint-Sépulcre se trouve accolée à la même façade. La compartimentation du porche, qui entraîna une modification des divisions intérieures de la nef, et se traduit par des groupes de deux baies (et non pas trois), s'effectue au moyen d'un pilier central évoquant davantage celui de Saint-Hilaire de Poitiers, dans une situation comparable, que celui d'Évaux. Largement ouverte, cette tour d'entrée reste la seule tour du diocèse privilégiant l'entrée latérale, l'entrée des pèlerins. On serait tenté d'associer clochers-porches et collèges de chanoines liés à l'évêque de Limoges : un dernier exemple se situe dans ce contexte, et suggère une rivalité monumentale avec Saint-Martial. Dans un haut lieu de la prédication de l'évangélisateur limousin, à Toulx-Sainte-Croix, une église dédiée à la Sainte-Croix et à saint Martial, patronnée par l'évêque grâce à la prévôté d'Évaux, se terminait par un clocher occidental. Son aspect actuel, tronqué, restauré, empêche toute analyse. Pourtant, les dispositions des parties de la nef qui subsistent, le choeur archaïsant à déambulatoire sans chapelles rayonnantes, font de cet édifice un jalon essentiel de l'histoire de l'architecture limousine du XIe s.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Les tours occidentales intégrées à la façade et à la nef
Le clocher d'Eymoutiers ne reposait plus sur un porche ouvert. Les clochers de Meymac et Saint-Yrieix (auxquels il conviendrait peut-être d'ajouter celui de Segonzac, dans son état originel) ne s'ouvrent pas davantage sur l'extérieur. Exemples presque jumeaux, ce que ne laisseraient supposer ni la géographie ni l'histoire, ils servent à la fois de tour, de façade, et de première travée de nef. Un élargissement de la base, racheté par des combles en appentis (très restaurés), reproduit intérieurement et extérieurement les divisions transversales de l'église : aux collatéraux correspondent deux niches latérales de façade. Mais on a conservé la salle haute, voûtée d'une coupole en blocage sur une base octogonale, toujours «orientée» grâce à la présence d'une baie donnant sur la nef. Nulle trace d'une fonction particulière, ou mention d'autel. Un autre point commun résulte de la succession des campagnes de construction : dans les deux cas, la première travée sous clocher- est isolée, car tout le reste a été ultérieurement reconstruit suivant un parti architectural contraire, à nef unique. Les nouveaux vaisseaux, plus hauts, plus vastes, mieux éclairés, élevés d'est en ouest à partir du dernier tiers du XIIe s., sont venus buter plus ou moins adroitement contre les travées sous clocher, élément soigneusement conservé d'un précédent édifice.
Cette étape dans l'intégration du porche occidental à l'espace de la nef est-elle chronologiquement
intermédiaire ? Assurément. Une datation de la fin du XIe, parfois avancée pour l'une et l'autre des deux oeuvres, est démentie par l'usage des profils brisés, des tores limousins continus (colonnette et tore reliés par un petit chapiteau sans tailloir), et des baies géminées. Les éléments les plus raffinés et les plus spécifiques du décor, arcatures trilobées à Saint-Yrieix, corbeilles vigoureusement sculptées dans l'abbatiale corrézienne, se rattachent au deuxième quart du XIIème. D'ailleurs, à Meymac, la confrontation entre données de l'histoire et données de l'archéologie du sol ne laisse place à aucune autre possibilité. La génération qui s'épanouit alors est celle des grands monuments du Limousin roman, celle des églises les plus connues. A l'ouest d'une nef d'une certaine ampleur, quatre d'entre elles possèdent une définition semblable.
Au Dorât, à Bénévent, à Saint-Junien, à La Souterraine, un clocher de forme généralement trapu, mais parfois enrichi de gables, est installé sur une première travée de nef simplement distinguée par une coupole sur pendentifs. En façade, des niches hautes et étroites encadrent le portail magnifié par un jeu de polylobes ou (et) par une double porte. La différence de largeur avec la tour est compensée par le couronnement des épais contreforts d'angle, souvent des tourelles octogonales. La salle haute voûtée a disparu. C'est en effet la coupole qui occupe l'étage : soutenue par les premières voûtes collatérales et leur comble, plus haute que le berceau de la nef centrale, elle prend jour par une baie occidentale. Elle apparaît essentiellement comme une réplique de la croisée du transept, dans laquelle une même coupole est portée plus haut encore par le tambour ajouré d'une lanterne. La distribution des volumes limitant la nef, associée à une mise en scène théâtralisée de l'espace, et à une habile utilisation de l'étroitesse des collatéraux, doit être lue comme le résultat du choix d'une silhouette à double accent.
Le clocher occidental fait toujours écho à une tour de croisée, avec laquelle il ne rivalise en hauteur ni au Dorât, ni autrefois à Saint-Junien. S'y trouvaient les «grosses cloches», par opposition aux «petites cloches". Cette formule, strictement régionale, qui constitue esthétiquement une excellente réponse à la double exigence d'une façade et d'un clocher, est assez limitée dans le temps, entre 1130 et 1170 environ. Il semble qu'elle ait été inventée à Saint-Pierre du Dorât. Dans cette collégiale placée sous la protection des anges, un massif occidental carré est accosté de tourelles ajourées qui répondent à la nécesité de commémorer la mort des saints. Ses proportions et son décor sont répétés au milieu du siècle à Bénévent et à La Souterraine. L'élaboration de la façade de Saint-Junien, aux étages comparables à ceux de Saint-Martial, ne doit pas non plus être placée très tôt : elle date d'une grande reprise de la collégiale de 1100, associée de façon significative à une dernière translation de l'ermite local et aux peintures d'une partie du berceau de la nef : on a alors placé, tant sur la voûte que sur le nouveau sarcophage sculpté, un programme eschatologique qui est un véritable substitut d'un programme de tympan. La tour occidentale jouait-elle également ce rôle, dans ce pays de sculpture difficile ?
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Abbaye de Meymac
Collégiale du Dorat
Abbaye de La Souterraine
Perspectives
Malgré les transformations subies, la silhouette de l'église de La Souterraine, qui relevait de Saint-Martial et non d'un collège de chanoines, à l'inverse des trois autres, permet d'illustrer le changement qui intervint ensuite. Après une interruption de chantier due à une révolte des habitants, le clocher est fortifié, puis continué comme une tour isolée, sans mise en relation géométrique avec la façade, cependant qu'est abandonné le probable projet d'une seconde articulation par une tour de croisée.
Entre la fin du XIIe et le début du XIIIe s., quelques édifices sont terminés par des tours-porches indépendantes. Il s'agit d'abbatiales, et non plus de collégiales, depuis longtemps entreprises, dont le clocher s'adapte à un développement urbain important en prenant une signification plus laïque : ainsi à Chambon-sur-Voueize en Combraille ou à Tulle en Bas-Limousin. À Solignac, devant la file de coupoles qui avait sans doute une terminaison provisoire, un porche et une belle salle haute, consacrés en 1195 ou 1211, furent surmontés par des étages carrés formant un couronnement semblable à ceux de La Souterraine et Tulle. La monumentalité de cette tour, qui ne se mesure plus que sur une page du Monasticon Gallicanum, prouve l'attachement des architectes limousins à la forme des clochers-porches, mais aussi l'impossibilité de réduire ce succès à des explications simples ou à des généralisations : la cohérence du parti d'ensemble n'est pas discernable ; un conservatisme qui consisterait à reconduire des structures antérieures (carolingiennes, notamment) ne peut être démontré ; de plus, les particularismes de la vie religieuse relevés ailleurs dans le diocèse, comme le tombeau d'un ermite, la présence de chanoines, les faveurs de l'évêque, ou les liens avec une place-forte marchande, n'existent pas ici.
A Beaulieu, avec moins de bonheur, en raison de la densité du tissu urbain, les moines clunisiens juxtaposèrent un campanile, à usage de beffroi pour la commune, à une façade ajourée de nombreuses baies. Plus que ce dernier exemple, tardif, ceux de Saint-Léonard et d'Arnac ouvrent le XIIIe s. sur une alternative à l'achèvement du monument par un «verrou» occidental. Il existe désormais en Limousin des façades-écrans, animées seulement par la géométrie des ouvertures, des tores multiples, et des niches où se logent les statues des saints. Elles revêtent la même rigueur que les chevets plats, alors généralement adoptés. Qu'elles correspondent à une évolution de la liturgie ou aux aspirations d'ordres religieux plus austères, elles procèdent d'une nouvelle réflexion sur la rencontre entre l'unité de l'espace et l'indivisibilité de la lumière : elles appartiennent donc au premier gothique.
(Source - Andrault-Schmitt Claude. Les premiers clochers-porches limousins (Êvaux, Lesterps, Limoges) et leur filiation au XIIe s..In: Cahiers de civilisation médiévale)
Clocher de la cathédrale de Limoges
Le clocher-porche de la cathédrale Saint -Etienne de Limoges a une base romane sur laquelle a été élevé des étages gothiques. Lors de ces travaux il a fallu envelopper la base romane trop fragile d'un large massif.
Les clochers gothiques en Limousin
La caractéristique des tours romanes, c'est à dire la disposition particulière des niveaux octogonaux, se retrouve dans trois des clochers élevés à Limoges au cours des XIIIème et XIVème siècles. Il s'agit des clochers de Saint-Pierre-du-Queyroix, construit durant le premier quart du XIIIème siècle, du clocher de la cathédrale de Limoges, malheureusement très souvent repris mais datable du courant du XIIIème siècle, et enfin du clocher de Saint-Michel-des-Lions élevé dans le quatrième quart du XIVème siècle.
Dans ces trois cas, au-dessus d'une souche carrée, les niveaux octogonaux sont encadrés de tourelles d'angles, octogonales sur toute leur hauteur à la cathédrale, de plan circulaire sur un niveau puis octogonal à Saint-Pierre-du-Queyroix et Saint-Michel-des-Lions.
Les clochers "égothiques" de Limoges ont rarement été mis en parallèle avec les clochers "romans" limousins, comme si les constructeurs du XIIIème siècle avaient ignoré les expériences précédentes. La périodisation de l'histoire de l'art entre roman et gothique y est certainement pour beaucoup. Pourtant le clocher de Saint-Pierre s'apparente aux clochers à gâbles de la seconde moitié du XIIème. Comme à Saint-Léonard, il possède aux étages inférieurs de larges baies, que surmontent les baies géminées des étages octogonaux. Par ailleurs, même s'ils sont bien moins accentués, les retraits entre les différents niveaux du clocher existent toujours. Une arcature aveugle souligne la base de la flèche dans les deux cas. Enfin, il faut remarquer que le clocher de Saint-Pierre est de très peu postérieur à celui de Saint-Junien inachevé, dont les travaux furent arrêtés dans les premières années du XIIIème siècle.
(Source - Le Limousin, pays et identités / PULIM)
Saint-Michel-des-Lions
Saint-Pierre-du-Queyroix