L'existence de Léonard, qui est réputé avoir vécu au VIème siècle n'apparaît à Limoges et dans l'Occident chrétien qu'au premier tiers du XIème siècle. Les premières mentions qu'on en connaisse se trouvent dans la chronique d'Adémar de Chabannes écrite vers 1028 et dans la correspondance de l'évêque Fulbert de Chartres mort cette même année. Par l'intermédiaire du chroniqueur, c'est surtout Jourdain de Laron, évêque de Limoges de 1023 à 1051 qui semble être le véritable inventeur du culte de saint Léonard. Jourdain de Laron était en effet précédemment dévôt laïc du chapitre collégial de l'église de Noblat où était conservé la dépouille de Léonard. Devenu évêque au moment où prends corps la légende de l'"apôtre" Martial et qui favorise le sanctuaire de l'abbaye de Saint-Martial, il va naturellement s'attacher à organiser le culte de saint Léonard, lieu dont il était le seigneur laïc. Adémar commence donc par relater que vers 1017, plusieurs saints, dont le saint confesseur limousin Léonard, se signalèrent par d'éclatants miracles.
En ce qui concerne la correspondance de Fulbert de Chartres, il s'agit en fait d'une lettre qui lui était adressée par Hildegaire, écolâtre de Saint-Hilaire de Poitiers, qui lui disait : "... l'évêque de Limoges, Jourdain ... te supplie de lui envoyer une vie de saint Léonard lequel repose dans son diocèse, dit-on, si tu la trouves quelque part, tu feras bien de dire qu'on l'a empruntée". Demande feinte, comme pour annoncer une trouvaille opportune ? On n'en connaît pas de réponse, mais peu de temps après 1030, une Vita de saint Léonard et le récit de neuf miracles obtenus par son intercession furent mis en circulation.
(Source - Légende Dorée du Limousin / Cahiers du Patrimoine)
Saint Léonard de Noblat
Saint Léonard libérant des prisonniers - Vita Sancti Leonardi du XIIIème siècle (BnF)
Le moine saxe Waleran de Bamberg, présent à Saint-Léonard pendant plusieurs années (vers les années 1080), fit connaître la vie du saint limousin par les copies des Vita qu'il fit. Devenu évêque de Naumbourg (1091-1111), il amplifia la diffusion du culte de saint Léonard en Allemagne.
St Leonard, or Lienard, was a French nobleman of great reputation in the court of Clovis I, and in the flower of his age was converted to the faith by St. Remigius, probably after the battle of Tolbiac. Being instructed in the obligations of our heavenly warfare, wherein the prize of the victory is an assured crown of immortal glory, he resolved to lay aside all worldly pursuits, quitted the court, and became a constant disciple of St. Remigius. The holy instructions and example of that saint made every day deeper impressions upon his tender soul, and Leonard seemed to have inherited the very spirit of his master, and to be animated with the same simplicity, disinterestedness, modesty, zeal, and charity. He preached the faith some time; but finding it very difficult to resist the king's importunities, who would needs call him to court, and burning with a desire of giving himself up entirely to the exercises of penance and contemplation, he retired privately into the territory of Orleans, where St. Mesmin or Maximin governed the monastery of Micy (called afterwards St. Mesmin's), which his uncle St. Euspicius had founded, two leagues from the city, in 508. In this house St. Leonard took the religious habit and inured himself to the fervent practices of regular discipline under the direction of St. Mesmin and of St. Lie or Laetus, a holy monk of that house, who afterwards died a hermit.
St. Leonard himself aspiring after a closer solitude, with the leave of St. Mesmin left his monastery, travelled through Berry, where he converted many idolaters, and coming into Limousin, chose for his retirement a forest four leagues from Limoges. Here, in a place called Nobiliac, he built himself an oratory, lived on wild herbs and fruits, and had for some time no other witness of his penance and virtues but God alone. His zeal and devotion sometimes carried him to the neighbouring churches, and some who by his discourses were inflamed with a desire of imitating his manner of life joined him in his desert, and formed a community which, in succeeding times, out of devotion to the saint's memory, became a flourishing monastery, called first Noblat, afterwards St. Leonard le Noblat. The reputation of his sanctity and miracles being spread very wide, the king bestowed on him and his fellow-hermits a considerable part of the forest where they lived. The saint, even before he retired to Micy, had been most remarkable for his charity toward captives and prisoners, and he laid himself out with unwearied zeal in affording them both corporeal and spiritual help and comfort, and he obtained of the governors the liberty of many. This was also the favourite object of his charity after he had discovered himself to the world in Limousin, and began to make frequent excursions to preach and instruct the people of that country. It is related that some were miraculously delivered from their chains by his prayers, and that the king, out of respect for his eminent sanctity, granted him a special privilege of sometimes setting prisoners at liberty; which about that time was frequently allowed to certain holy bishops and others. But the saint's chief aim and endeavours in this charitable employment were to bring malefactors and all persons who fell under this affliction to a true sense of the enormity of their sins, and to a sincere spirit of compunction and penance, and a perfect reformation of their lives. When he had filled up the measure of his good works, his labours were crowned with a happy death about the year 559, according to the new Paris Breviary. Many great churches in England of which he is the titular saint, and our ancient calendars, show his name to have been formerly no less famous in England.
(Source - Martyrs and Other Principal Saints" by the Rev. Alban Butler)
LA LEGENDE DE SAINT LEONARD
Léonard vécut, dit-on, vers l’an 500. Il naquit dans la province des Gaules au temps de l'empereur Anastase (491-518), de nobles francs, alliés du roi Clovis qui, " d'après des témoignages véridiques ", voulut bien être le parrain de l'enfant. Ce fut saint Remi, archevêque de Reims, qui le tint sur les fonts sacrés du Baptême et, qui l’instruisit dans la science du Salut.
Devenu grand, Léonard refusa de servir dans l'armée royale comme tous ses parents, mais voulut suivre saint Remi, évêque de Reims. Saint Remi avait obtenu des rois que, chaque fois qu'ils viendraient à Reims ou qu'ils y passeraient, tous les prisonniers seraient aussitôt libérés. Léonard pour imiter cette charité demanda que tous les prisonniers qu'il visiterait soient aussitôt libérés : le roi accorda cette faveur dont le saint usa largement. Or, comme la renommée de sa sainteté allait toujours croissant, le roi le fit rester longtemps auprès de lui, jusqu'à ce qu'il se présentât une occasion favorable de lui donner un évêché. Léonard le refusa, car, préférant la solitude, il quitta tout et vint avec son frère Liphard à Orléans où ils se livrèrent à la prédication.
Après avoir passé quelque temps dans un monastère, Liphard ayant voulu rester solitaire sur les rives de la Loire, et Léonard, d'après l’inspiration du Saint-Esprit, se disposant à prêcher dans l’Aquitaine, ils se séparèrent après s'être embrassés mutuellement. Léonard prêcha donc en beaucoup d'endroits, fit un grand nombre de miracles et se fixa dans une forêt voisine de la ville de Limoges, où se trouvait un château royal bâti à cause de la chasse.
Or, il arriva qu'un jour le roi étant venu y chasser, la reine, qui l’avait accompagné pour son amusement, fut saisie par les douleurs de l’enfantement et se trouva en péril. Pendant que le roi et sa suite étaient en pleurs à raison du danger qui menaçait la reine, Léonard passa à travers la forêt et entendit leurs gémissements. Emu de pitié, il alla au palais où on l’introduisit auprès du roi qui l’avait appelé. Celui-ci lui ayant demandé qui il était, Léonard lui répondit qu'il avait été disciple de saint Remi. Le roi conçut alors bon espoir et pensant qu'il avait été élevé par un bon maître, il le conduisit auprès de la, reine en le priant de lui obtenir par ses prières deux sujets de joie, savoir : la délivrance de son épouse et la naissance de l’enfant. Léonard fit donc une prière et obtint à l’instant ce qu'il demandait. Or, comme le roi lui offrait beaucoup d'or et d'argent, il s'empressa de refuser et conseilla au prince de distribuer ces richesses aux pauvres :
" Pour moi, lui dit-il, je n'en ai aucun besoin, je ne désire qu'une chose : c'est de vivre dans quelque forêt, en méprisant les richesses de ce monde, et en ne servant que Notre Seigneur Jésus-Christ."
Et comme le roi voulait lui donner toute la forêt, Léonard lui dit : " Je ne l’accepte pas tout entière, mais je vous prie seulement de me concéder la portion dont je pourrai, la nuit, faire le tour avec mon âne".
Ce à quoi le roi consentit bien volontiers. Léonard construisit un oratoire en l'honneur de Notre-Dame et y dédia un autel en mémoire de saint Remi. Il se rendait souvent au tombeau de saint Martial. On y éleva ensuite un monastère où Léonard vécut longtemps dans la pratique d'une abstinence sévère, avec deux personnes qu'il s'adjoignit.
Or, comme on ne pouvait se procurer de l’eau qu'à une demie-lieue de distance, il fit percer un puits sec dans son monastère et il le remplit d'eau par ses prières.
Il appela ce lieu Nobiliac parce qu'il lui avait été donné par un noble roi. Il s'y rendit illustre par de si grands miracles que tout prisonnier, invoquant son nom, était délivré de ses chaînes et s'en allait libre, sans que personne n'osât s'y opposer ; il venait ensuite présenter à Léonard les chaînes ou les entraves dont il avait été chargé. Plusieurs de ces prisonniers restaient avec lui et servaient le Seigneur. Sept familles de ses parents, nobles comme lui, vendirent tout ce qu'elles possédaient pour le joindre : il distribua à chacune une portion de la forêt et leur exemple attira beaucoup d'autres personnes. Enfin, le saint homme Léonard, tout éclatant de nombreuses vertus, trépassa au Seigneur le 8 des Ides de novembre. Comme il s'opérait beaucoup de miracles au lieu où il reposait, il fut révélé aux clercs de faire construire une autre église ailleurs, parce que celle qu'ils avaient là leur était trop petite à raison de la multitude des pèlerins, puis d'y transférer avec honneur le corps de saint Léonard.
Quand les clercs et le peuple eurent passé trois jours dans le jeûne et la prière, ils virent tout le pays couvert de neige, mais ils remarquèrent que le lieu où voulait reposer saint Léonard en était entièrement dépourvu. Ce fut donc là qu'il fut transporté. L'immense quantité de différentes chaînes de fer suspendues devant son tombeau témoigne combien de miracles le Seigneur opéra par son intercession, surtout à l’égard de ceux qui sont incarcérés.
Fresque datant du XIIIème siècle de l'église de Lubersac et représentant saint Léonard libérant un prisonnier enchaîné.
Enseigne de pèlerinage à Saint-Léonard, datée du XIVème
Léonard libérant un prisonnier.
Tableau de saint Léonard et saint Jacques le Majeur
daté du XVème siècle à Avignon.
Voilà, au XIIème siècle comment le moine rédacteur du pseudo-"guide du pèlerin", livre du Codex Calixtinus de la cathédrale de Compostelle, parlait du sanctuaire de Noblat :
"Il faut aussi rendre au saint corps du bienheureux Léonard, confesseur ... La clémence divine a déjà répandu au loin, à travers le monde entier, la gloire du bienheureux confesseur Léonard du Limousin, et sa puissance intercession a fait sortir des prisons d'innombrables milliers de captifs : leurs chaînes de fer, plus barbares qu'on ne peut le dire, réunies par milliers, ont été suspendues tout autour de la basilique, à droite et à gauche, au dedans et au dehors, en témoingnages de si grands miracles. On est surpris plus qu'on ne peut l'exprimer en voyant les mâts menottes de fer, des carcans, des chaînes, des entraves, des engins variés, des pièges, des cadenas, des jougs, des casques, des faux et des instruments divers, dont le très puissant confesseur du Christ a, par sa puissance, délivré des captifs. Ce qui est remarquable en lui, c'est que, sous une forme humaine visible, il a coutume d'apparaître à ceux qui sont enfermés dans les prisons, même au-delà des mers, ainsi qu'en témoignent ceux qu'il a ainsi délivrés, grâce à sa puissance divine ..."
Cette église à Venise a été consacrée à saint Martial, évêque de Limoges. Le premier bâtiment date du IXe siècle, mais il restauré par la famille Bocchi dès le XIIe siècle. L’édifice actuel date du XVIIe siècle et a été inauguré le 28 septembre 1721 par le patriarche Pietro Barbarico.
Toujours à Venise dans le sestier du Cannaregio, au numéro 2490 du Campo San Marziale (Saint Martial), se trouve le relief datant du XVe siècle représentant le Saint en train de bénir tandis qu'il tient une église dans l'autre main,
La margelle et le puits de San Marziale (Saint Martial) date du 15e siècle. Le puits Vénitien en pierre d'Istrie, du Campo San Marziale, est dans le sestier du Cannaregio à Venise.
Eglises dont le vocable est dédié à saint Léonard
(certains vocables s ceux sont faits après le Moyen Age)
L'expansion du culte à saint Léonard
Elle fut favorisé par les nombreux voyages des pèlerins, des écclésiastiques et aussi par la réputation de fameux pèlerins. A l'exemple du Prince d'Antioche Bohémond, qui, resté trois ans prisonnier des sarrasins, eut attribué sa libération en 1103 au pouvoir de saint Léonard et l'eut manifesté en venant témoigner sa reconnaissance du tombeau du saint. Plusieurs auteurs normands, comme Raoul de Caen, Orderic Vital, Guillaume de Malmesbury, n'ont pas oublié, dans leur histoire de la première croisade, de signaler le pèlerinage de Bohémond, contribuant ainsi à implanter fortement le culte de Léonard en Normandie, région de France la mieux pourvue en églises dédiées à saint Léonard, et en Angleterre où l'on compte plus de cent établissements sous cette invocation, dont plusieurs hôpitaux.
Tout comme pour la diffusion de tous les saints limousins en Angleterre, l'on peut souligner que le fait que le Limousin eut appartenu à l'Aquitaine et par la même aux Anglais, a dû contribué largement à la renommée de ces saints.
La "filière" germanique développée au début du XIIème siècle par Waleran de Bamberg, évêque de Naumburg en Saxe, fut renforcée par le succès du Legendarium magnum austriacum (Grand Légendaire Autrichien), rédigé en 1220 dans l'abbaye cistercienne de Zwett en Basse Autriche. Plus tard la notoriété de saint léonard dans ces mêmes régions, s'accrut par la traduction de la Vita en launge allemande en 1439 et par sa diffusion dans les premiers livres imprimés.
À partir de l’an 1100, il y eut un autel dédié à saint Léonard dans la cathédrale de Freising. L’abbé du monastère de Tegernsee consacra une église Saint-Léonard à Kreuth en 1184. Lorsque les Cisterciens arrivèrent à Inchenhofen (près d’Augsbourg) en 1259, ils découvrirent que les lieux faisaient déjà l’objet d’un pèlerinage à la mémoire de saint Léonard ; ils s’appliquèrent tant à ledévelopper qu’ils en firent l’un des plus fréquentés du MoyenÂge. De la même façon, les Cisterciens de Furstenfeld s’investirent avec ardeur dans la propagation du culte de saint Léonard : ils intégrèrent l’image du saint à leurs armoiries et érigèrent par leurs propres moyens, dans le bourg de Bruck, une église Saint-Léonard qui fut consacrée en 1440. On vénérait alors saint Léonard pour l’aide et le secours qu’il apportait aux prisonniers. Dans la cathédrale de Wurzbourg, une statue du XIVesiècle le représente en robe d’abbé et en mitre, tenant la crosse et portant aux pieds et aux mains ses attributs principaux que sont les chaînes et les fers.
Le tombeau de saint Léonard
Le monastère de l'Artige fut fondé, au début du XIIème siècle, sous le vocable de saint Marc, par deux pieux Vénitiens, Marc et son neveu Sébastien, qui étaient venusen pèlerinage au tombeau de saint Léonard. Peut être faisaient-ils partis de cette colonnie de marchands Vénitiens en route vers leur entrepôt de Limoges souvent cités dans par les historiens mais que rien n'a jamais confirmé. A trois kilomètres de Saint-Léonard, ils construisirent des cellules, où ils vécurent en ermites avec quelques disciples attirés par le renom de leur sainteté. Mais dans la seconde moitié du XIIème siècle, sous l'épiscopat de Gérard II de Cher et sous la direction du prieur Hélias del Horto, les religieux abandonnèrent le lieux de l'Artige-Vieille qui était malsaint et se déplacèrent à quelques distances de là. Le monastère soumis à la règle de saint Augustin avait déjà fait onze prieurés en 1158. Et au XIIIème siècle cette importance s'accrut encore, sans doute avec l'aide d'un chanoine de l'Artige devenu évêque de Limoges, Bernard de Savène. Le monastère devint alors la tête d'un ordre de chanoines réguliers qui compta au moins trente-trois maisons et qui eut des biens dans une trentaine de paroisses.
(Source - Le diocèse de Limoges des origines à la fin du Moyen Age )