Théâtre et drames liturgiques
Les trois grandes inventions musicales qui, à partir du IXe siècle, ont rendu possible l'extraordinaire développement ultérieur de l'art musical, soit la polyphonie, les tropes et la notation sont probablement nées sur le sol français et l'abbaye de Saint-Martial de Limoges semble avoir eu une grande influence.
Les tropes, principe de composition libre à partir du modèle grégorien, viennent de l'abbaye de Jumièges, d'où ils seront transportés en Suisse, à l'abbaye de Saint-Gall qui leur donnera un développement décisif, et en Aquitaine, où l'école de Saint-Martial de Limoges créera à son tour une aire de diffusion de grande envergure.
La notation, dans son origine, apparaît solidaire des précédentes mutations. Elle quitte pour la première fois le domaine de la numérotation alphabétique, attribué tantôt au Français Odon de Cluny, tantôt à l'Italien Guillaume de Volpiano, pour se doter de signes spécifiques notation dite dasiane, portées intervalliques avant d'adopter le principe des neumes qui trouvera à Saint-Gall son point de développement privilégié, mais donnera lieu également à une multiplicité d'écoles parmi lesquelles beaucoup sont françaises école de Chartres, de Bretagne, d'Aquitaine (Limoges), etc.
L'extraordinaire développement du monachisme clunisien, essentiellement favorable au développement des arts religieux, n'a pas manqué de faire des abbayes filiales, dont la plupart étaient françaises, des centres importants de culture musicale. C'est probablement dans les abbayes clunisiennes, notamment à Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), que prendront forme les essais de « drame liturgique » qui donneront naissance au théâtre chrétien musical, puis au théâtre tout court, et dans les abbayes aquitaines, spécialement à Saint-Martial de Limoges, que, sur la lancée des tropes, se développera toute une littérature latine chantée dont l'expression principale sera le versus, lequel à son tour n'aura plus qu'à se séculariser et à adopter la langue vernaculaire pour devenir le vers, nom d'époque couramment donné à ce que nous appelons aujourd'hui la chanson de trouveur.
Ainsi qu’en témoignent dès la fin du XIe siècle les manuscrits de l’abbaye de Saint-Martial de Limoges, le théâtre lyrique religieux est issu de la messe, drame par le fond (commémoration du sacrifice divin) et par la forme (alternance du chant et de la parole, dialogue de l’officiant et des fidèles).
Les fêtes religieuses donnent lieu à la concrétisation, dans l’église même, des personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cette forme dramatique en latin - première ébauche du théâtre médiéval - prend le nom de drame liturgique.
Du XIe au XIIIe siècle, ces représentations, s’enrichissant d’éléments profanes et devenant de plus en plus spectaculaires, se tiennent sur le parvis de l’église. Des laïcs y participent, s’exprimant en langue romane, comme dans le Jeu d’Adam et Ève, drame semi-liturgique, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du XIIe siècle.
Au XIVe et au XVe siècle, les acteurs deviennent professionnels et appartiennent à des troupes régulières. Au drame liturgique, succèdent les Miracles puis les Mystères, de caractère profane plus que religieux, et où la musique, se dissociant du texte, occupe une place assez restreinte.
En 1515 et 1550, les chroniques de Saint-Junien nous renseigne sur les permissions accordées aux chanoines pour les représentations des Mystères : Mystère de la Sainte Hostie, Mystère de la Passion, jouées parfois dans le cloître.
Comme on peut le voir, il est difficile d'évoquer sans réserve le "fameux répertoire martialien". les textes censés le composer sont assez peu nombreux, ils n'ont peut être pas été créés à Saint-Martial, et les indices internes de leur dramatisation sont ténus. C'est le rapprochement avec des versions similaires issues d'autres abbayes et mieux dotées en indications de mise en scène qui a conduit à ranger ces textes dans la catégorie des drames, mais au delà de cet indice, rien ne permet de dire dans quelle mesure l'exécution de ces morceaux musicaux était déjà véritablement théâtralisé à Limoges. Ces considérations prudentes n'impliquent pas qqu'il faille minimiser le rôle de Saint-Martial dans l'histoire du théâtre. Les textes qui nous intéressent dans le BnF lat.1139 valent par ancienneté, et pour sommaire qu'ait pu être leur dramatisation, ils consituent indiscutablement des jalons très importants dans l'émergence du drame liturgique.
En outre on a gardé des témoignages prouvant que Limoges et son abbaye ont cultivé la pratique d'un théâtre religieux durant tout le Moyen Age et même au-delà. On sait qu'il a existé depuis le XIIème siècle une confrèrie du Saint Sépulcre : une telle organisation était susceptible de porter intérêt au drame de la Visitatio sepulcri. En 1290 et en 1302, le cimetière de l'abbaye servit de cadre à un jeu des Miracles de saint Martial donné propre crucem lapideam, près d'une croix de pierre, par des burgenses, autrement dit par des civils, des habitants du bourg.
Drame liturgique et théâtre religieux en langue occitane
C'est sans doute à Saint Martial de Limoges que l'on va transformer la mélodie en pièce plus lyrique (c’est à dire plus musicale pour la voix) par exemple en répétant le premier vers en guise de refrain.
Progressivement cette prophétie nécessita l’intervention de plusieurs personnages. Pour augmenter encore la pièce, on va lui ajouter d’autres prophéties de la venue du Christ. C’est donc l’occasion de faire apparaître les différents grands prophètes à côté de la Sibylle : ces prophètes on sait qu’ils viennent de diverses époques de l’ancien testament donc on va les caractériser par leurs costumes, par leurs attitudes. C’est ce que l’on va appeler le drame des prophètes du Christ.
Dans un manuscrit célèbre du XIème siècle (originaire de Saint Martial de Limoges), le drame des prophètes est précédé d’une pièce chantée qui en est en quelques sortes le prologue : cette pièce est connue aussi sous le nom de Sponsus ou Mystère de l'Epoux, et est inclus dans le manuscrit 1139 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale. Le seul titre porté par ce poème est Sponsus (=l'Epoux) ; cependant, depuis Raynouarl, il est d'usage de donner au texte le titre de Vierges sages et Vierges folles, d'après la parabole dont il est inspiré.Il provient de l'abbaye de St-Martial de Limoges, et il est resté ignoré pendant des siècles. En effet, il faut attendre 1741 pour qu'une première mention en soit faite, par l'abbé Lebeuf, et 1816 pour voir sa publication par le célèbre romaniste Raynouart.
Les rééditions désormais se succéderont, certaines s'interrogeant sur la langue, d'autres sur la musique, d'autres enfin sur l'aspect théâtral.Le manuscrit est une copie du XII è siècle ; on s'accorde pour reconnaître que la langue est du XII è, mais que l'ensemble correspond à une tradition plus ancienne. Quant à la mélodie, elle a manifestement été adaptée postérieurement sur un texte déjà faussé.
Quoi qu'il en soit, il s'agit du premier drame liturgique en langue vulgaire connu pour l'ensemble roman — par langue vulgaire, on entend langue du vulgus, c'est-à-dire de tout le monde.
Une série de drames liturgiques fort anciens nous est en effet conservée par un manuscrit célèbre de l'abbaye Saint-Martial de Limoges, le bnF lat.1139.
il est bien connu que le premier théâtre religieux médiéval est sorti du rire, et plus précisément de la dramatisation du Quem quaeritis, trope dialogué de l'Introït de la messe du matin de Pâques. Sachant quelle glorieuse renommée l'abbaye Saint-Martial s'est acquise dans le domaine de : la production de tropes (pièce poétique chantée issue de l'amplification par commentaire ou prolongement d'une autre pièce liturgique), on pouvait naturellement s'attendre à trouver une activité dramatique à cet endroit. Et en effet, la critique a souvent cité Saint-Martial "comme une dres métropoles du drame liturgique médiéval", ainsi que le faisait remarquer Jacques Chailley avant de réexaminer la validité de cet affirmation.
Ce fameux trope Quem quaeritis d'où naîtra le drame liturgique, Saint-Gall nous en a fourni les formes les plus simples et du type le plus archaïque, mais c'est toutefois de Saint-Martial que nous est parvenue la première version conservée. Ce chant figure dans presque tous les prosaires de l'abbaye, y compris dans les plus anciens avec dans certaines copies, l'identification claire que le dialogue était alterné. Mais cette alternance n'implique pas pour autant qu'il y avait déjà une dramatisation de ce morceau à Saint-Martial : dans aucun des manuscrits de l'abbaye limousine qui le transcrivent, le texte n'est accompagné de la moindre indication "qui puisse faire penser à un embryon de mise en scène". Ce n'est vraisemblablement pas là que le trope s'est transformépour devenir le noyau du drame pascal : c'est sans doute à Fleury, à Gand ou à Verdun que cette évolution vers le théâtre s'est opéré.
A y regarder de près, il apparaît bien que c'est sur le contenu du seul BnF lat.1139 que s'est fondée la réputation de Saint-Martial comme métropole du drame liturgique : ce manuscrit s'avère être l'unique témoin d'un répertoire martialien, et encore faut-il ajouter que si ce recueil composite a fait partie des collections de l'abbaye, les textes qu'il contient n'ont pas tous été rédigés dans ce scriptorium, ni même, initialement, à l'usage de cette communauté.
Dan Bnf lat.1139, le drame des femmes au sépulcre est suivi du très fameux Sponsus, auquel succède directement un jeu des Prophètes du Christ.
Le Sponsus offre la première diablerie du répertoire médiéval, discrètement évoquée dna sla didascalie finale en latin, qui prévoit que les démons se saisissent des vierges folles pour les précépiter en enfer. Cette intervention des diables suppose un rudiment de mise en scène approprié, dont on n'a pas conservé la description. On lit par ailleurs dans la chronique du plus célèbre bibliothécaire de Siant-Martial, Bernard Itier, qu'une gueule d'enfer fut acquise par l'abbaye en 1212 et mise en place de façon fixe en avril 1217, sans que le chroniqueur ait précisé l'usage qui en fut réalisé. Puisque nous ignorons tout de la durée de vi de ce décor et de la date précise de l'arrivée du Sponsus à l'abbaye, et qu'il nous est impossible d'affirmer même avec certitude que ce drame a bien été joué à Saint-Martial, nous ne saurons probablement jamais si cette gueule servit un jour de diablerie fermant le sponsus.
(Source- L'Aquitaine Littératures Médiévales / Casanova)
Des vierges attendent Jésus, leur Epoux (Sponsus, en latin), mais il arrive tard à la noce. Les vierges sages ont gardé suffisamment d'huile pour allumer leur lampe, tandis que les vierges folles n’ont plus d'huile. Elles supplient les vierges sages de leur en prêter par charité, mais celles-ci refusent. Elles tentent alors d'en acheter chez des marchands, qui ne les aident pas non plus. Quand Jésus arrive finalement, il refuse de les recevoir et les abandonne aux démons, qui les emmènent en enfer.